Opération Epées de fer – Journal d’un civil (10) Héros

Héros

Depuis plus d’une semaine, on voit passer, une à une, les histoires tragiques de ce qu’il s’est passé samedi 7 octobre 2023. Je n’arrive pas à les regarder en face. Chacune me bouleverse et je n’ai pas la place, dans ma tristesse, pour des centaines d’histoires.

Mais dans ces ténèbres poisseuses flottent quelques éclats de lumière. Des personnes ordinaires qui se sont comportées de façon héroïque. Des histoires de survivants. Des histoires de petits riens qui parfois prennent des allures de bouées et auxquelles on se rattache, même si elles sont fragmentaires, même si elles sont embellies, même si elles sont de troisième main.

Il y a par exemple Rachel Adari, qui est devenue la grand-mère de tous les Israéliens. Originaire d’Iran, la soixantaine, habitant à Ofakim, la petite ville qui se trouve à mi-chemin entre Gaza et Be’er Sheva. Des terroristes du hamas sont entrés dans sa maison et l’ont prise en otage avec son mari pendant près de quinze heures. Qu’a fait Rachel ? Elle les a traités comme des invités. L’un d’eux était blessé à la main, elle lui dit d’aller s’allonger. La journée passe, elle leur offre à boire et à manger, en particulier des cookies. Elle gagne du temps pendant que les secours arrivent. Leurs deux fils, tous les deux officiers de police, ont participé à la libération. Depuis on voit Rachel partout : j’ai même reçu une recette de ses fameux cookies.

Il y a eu également Noam Tivon, un général à la retraite qui était l’une des figures des protestations contre la réforme de la justice. Samedi matin, il apprend que son fils, journaliste au quotidien Ha’aretz, était piégé chez lui, au kibboutz Nahal Oz. Ni une ni deux, il part en voiture avec sa femme. En chemin il croise des blessés, qu’il prend avec lui pour les évacuer, et un soldat qui se joint à lui. Il finit par arriver au kibboutz avec d’autres soldats et prend d’assaut la maison où son fils était, tuant au passage les terroristes du hamas. Arrivé à la maison de son fils, il s’annonce. Dedans il entend sa petite fille qui dit « Saba [papy] est venu ».

Il y a aussi Yair Golan. Egalement ancien officier et ancien député pour le parti Meretz (gauche de la gauche). Voyant un appel à l’aide sur un réseau social d’un père disant que son fils était pris au piège, quelque part, il s’habille, prend son arme et part en voiture au lieu indiqué pour aller le chercher. Il le met à l’abris et repart dans la mêlée.

Il y a également Inbal Rabin-Liberman, qui habite au kibboutz Nir Am. A six heures trente elle est déjà debout, et elle remarque que quelqu’un essaye de s’infiltrer en passant la barrière de sécurité. Elle sonne l’alarme, court de maison en maison, rassemble des gens armés : ils parviendront à défendre le kibboutz de l’invasion en abattant 25 terroristes.

Certains ont été héroïques, mais ne s’en sont pas sortis. Il y a par exemple Yaniv Sarudi, un jeune homme de vingt-six ans qui travaillait au festival de musique. Les témoins disent qu’il a pris l’arme d’un assaillant, qu’il a ouvert le feu sur eux, avant de prendre une voiture et de s’enfuir avec huit autres personnes, alors qu’il avait été blessé par les balles. Les personnes qu’il a évacuées sont vivantes, lui a succombé à ses blessures.

Il y a également Awad Darawshe, un urgentiste de vingt-trois ans qui s’est rendu sur les lieux du festival en ambulance. Alors que ses amis lui disaient de quitter les lieux, il est resté pour s’occuper des blessés. Il a été tué par le hamas, qui a ensuite volé son ambulance et l’a ramené à Gaza pour parader.

Depuis, la solidarité et la générosité continuent à se déployer. Les jours qui suivent ont vu affluer les réservistes de tout Israël. Tous, y compris Ezra Yachin, qui a 95 ans. Il a fait la guerre d’indépendance en 48 et y a perdu un œil. Il a enfilé son uniforme et s’est présenté à sa base après avoir reçu un appel à la mobilisation. Il parle avec les jeunes soldats et leur fait part de son expérience, pour leur transmettre le souffle des pionniers.

Et ce n’est pas qu’en Israël. Le monde entier se présente à l’appel. A New York, un homme orthodoxe se rend à l’aéroport JFK. On est le neuf octobre, les réservistes affluent dans les aéroports pour prendre l’avion et rentrer défendre le pays. L’homme dit qu’il a une carte de crédit avec un plafond très élevé, et qu’il payera le billet à toute personne qui vient avec une notification de mobilisation. Il a acheté 250 billets.

Toujours aux USA, à Brooklyn, un homme vient voir un rabbin. Il explique qu’il est albanais, qu’il est entrepreneur et que son affaire marche bien. Il fait un don de cinq mille dollars et présente ses excuses : c’est tout ce qu’il peut donner. Il demande juste qu’on utilise les fonds pour aider les survivants.

El-Al est l’une des seules compagnies qui continue à voler jusqu’en Israël, y compris, fait inédit depuis longtemps, le shabbat. Le 10 octobre, un avion s’apprête à partir de Bangkok. Le terminal est plein (les Israéliens adorent aller en Asie du Sud Est après leur service). L’avion se remplit. Et les autres ? Le personnel navigant fait entrer vingt personnes de plus, qui s’installent sur les différents strapontins qui leur sont d’habitude réservé. Et les autres ? Le capitaine prend dix passagers de plus, qu’il autorise à s’installer sur le sol dans la cuisine et près des portes. Pendant le vol, celui-ci circule pour s’assurer que tout le monde va bien et qu’ils ont tout ce dont ils ont besoin.

A l’autre bout des lignes aériennes, à l’aéroport Ben Gourion, les gens vont accueillir les réservistes qui reviennent, même en pleine nuit, et leur font un accueil chaleureux, en chantant et en dansant, comme on le fait si souvent ici quand on va chercher de la famille qui arrive de l’étranger.

Les héros ordinaires sont partout. Le 10 octobre ont lieu des funérailles pour une jeune fille d’origine brésilienne qui a été assassinée lors du festival de musique. Elle n’avait presque pas de famille en Israël, quelqu’un a posté un message demandant que les gens viennent à ses funérailles. A l’entrée du cimetière, il y a un embouteillage de deux kilomètres.

Les cas similaires se multiplient au fur et à mesure que les corps sont identifiés. Des appels sont lancés régulièrement sur les réseaux sociaux : tel personne n’a pas de famille, telle autre était un soldat isolé. Les gens se rendent aux enterrements par centaines.

Sans compter les milliers de bénévoles qui s’organisent pour préparer des colis pour les soldats. Plus de 300 000 réservistes : pour un pays de dix millions d’habitants c’est un effort de guerre très important qui se met en place, un effort auquel tout le monde essaye de participer, à son niveau.

Il y a par exemple le groupe des Iron sisters : 150 femmes orthodoxes qui coordonnent 1 000 bénévoles à travers le pays pour donner tout ce dont les gens peuvent avoir besoin. Elles travaillent dans l’arrière-boutique d’un magasin de perruques !

Des centres de préparation des colis ouvrent dans chaque ville pour coordonner les dons et les envois. Certains se spécialisent dans des problèmes particuliers. Un de mes anciens élèves souffre de la maladie céliaque et après enquête voit qu’il y a plusieurs autres personnes dans ce cas dans la base où il se trouve. Qu’à cela ne tienne : il y a des colis prévus, notamment avec des halots sans gluten pour le shabbat.

On parle souvent de l’effet mimétique des réseaux sociaux. De la manière dont la haine engendre la haine. Mais on oublie trop souvent son symétrique : l’effet mimétique de la bonté, de ce qu’on appelle en hébreu les gemilout hassadim, qu’on traduit trop approximativement par bonnes actions. La générosité est contagieuse : continuons ! – fin du 10ème jour, 16 oct. 2023


Sources

https://www.thejc.com/news/news/war-of-independence-veteran-95-volunteers-to-join-idf-in-fight-against-hamas-47JhR9InldbQDuynK1ZxXY

https://www.timesofisrael.com/yaniv-sarudi-26-brought-others-to-safety-after-shot-twice/

https://www.timesofisrael.com/paramedic-awad-darawshe-23-killed-treating-wounded-at-rave-massacre/

https://www.timesofisrael.com/in-ofakim-one-womans-graceful-bravery-offers-precious-solace-to-a-grieving-nation/

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