Huizong, Empereur calligraphe (2/2)

(Suite de la première partie, qui évoque la vie de Huizong).

Huizong n’était pas destiné à régner. En tant que prince de sang de la dynastie Song, deux carrières s’offraient à lui. La première, la plus courante, était une vie de patachon, faite de loisirs, de promiscuité, de force alcool et repas gargantuesques. Ce chemin était encouragé afin d’éviter que les frères du futur empereur ne s’intéressent de trop près à la chose politique et ne puissent devenir de futurs rivaux. Dans les systèmes monarchiques avec héritier, les intrigues de palais et les assassinats sont courants.

La seconde consistait à se plonger dans les études, et à devenir ce qu’on pourrait appeler un artiste lettré. Peinture, poésie, calligraphie (1), musique, mais également sports : les Song pratiquaient avec délectation un jeu qui ressemblait fort au football.

C’est cette seconde voie que choisit Huizong. Il devient un très bon musicien, un peintre raffiné, mais c’est dans la calligraphie qu’il va exceller.

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Huizong, Empereur calligraphe (1/2)

Première partie : vie de l’empereur Huizong

La période des Song est l’un des sommets de l’histoire chinoise. Le pays est alors prospère, fortement peuplé et son développement, aussi bien culturel que technique, va avoir une influence sur le reste de l’Asie et du monde. La période Song est divisée en deux phases. La première s’étend de 960 à 1127, la seconde, appelée « Song du sud », continue pendant quelques cent cinquante ans, jusqu’en 1279.

La raison de cette cassure ? Le pays est envahi par les Jurchens, un peuple situé à la frontière nord avec lequel les Song ont des relations pour le moins complexes. La dynastie change de capitale, le pays rétrécit, et la mémoire de ce traumatisme national se transmet. Entre les deux, un empereur, Huizong, qui est d’emblée accusé par les historiens d’être la source de la débâcle. Mais, alors que l’historiographie chinoise donne une image très négative de lui, un autre aspect de sa personne résiste au temps. Car Huizong est également un artiste de premier plan, et un calligraphe hors pair. Au point qu’on dise que, s’il n’avait pas été Empereur, il aurait été considéré comme l’un des principaux calligraphes de l’histoire.

Portrait et analyse de l’œuvre de ce génie du pinceau.

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Le D de cauchemar

Il y a des mots dont l’orthographe a l’art de susciter des passions enflammées. Un exemple parmi d’autres : cauchemar, dont l’absence de D donne des sueurs froides à certains. Il fait partie de ces irrégularités de la langue française dont tout en nous crie le contraire de ce que nous sommes censés écrire. « Nous faisons, vous faisez ? » Non, dit-on à l’élève impatient, nous faisons, vous faites. « Nous sommes, vous êtez ? » Encore moins petit sacripant ! Nous sommes, vous êtes. (1)

Cauchemar fait partie de ces exceptions orthographiques qui semblent, à première vue, étranges. La plupart des écoliers ont envie de lui ajouter un D, et c’est une maîtresse patiente qui doit expliquer que non, cauchemar ne prend pas de D.

Mais d’où vient cette pulsion, cette envie de coller un D là où il n’en faut pas ?

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Bienvenue à Wokeville : Episode 4 – Les courses

En novembre 2018, je suis parti vivre dans le Massachusetts pour des raisons familiales. J’ai aménagé dans l’ouest de l’état, une zone un peu enclavée, bien loin de Boston et de la mégapole de la côté. J’ai vécu six mois dans une ville qui avait été un centre extrêmement important de la région jusque dans les années cinquante, et six mois dans une petite ville que je ne nommerai pas ici explicitement, et que j’appellerai Wokeville.

Pendant cette année-là, j’ai vécu dans un monde que je n’imaginais pas exister, une sorte d’univers parallèle totalement surréaliste, une des villes dans lequel le mouvement woke s’épanouit à l’état chimiquement pur. J’ai tenu six mois.

Wokeville ressemble à une carte postale. Y venir pour quelques jours, c’est se promener dans un joli coin de la nouvelle Angleterre. Pour peu qu’on séjourne à l’hôtel du centre ville, un bâtiment historique aux chambres luxueuses qui dispose d’un vieux restaurant avec une cheminée et un long comptoir en bois, on a l’impression de voyager dans l’Amérique d’avant la Première guerre mondiale, une Amérique qu’on voit dans les films et qu’Hollywood avait contribué à mythifier.

Mais c’est une carte postale dans laquelle vivre aujourd’hui devient très vite compliqué. On y trouve un condensé du vade-mecum de l’urbanisme moderne. Avec en premier lieu, une détestation de la voiture.

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Croissez et multipliez (édition 2023)

Helen De Cruz, philosophe et titulaire de la chaire d’humanités à l’université Saint Louis du Missouri, a tweeté récemment la réflexion suivante : « I think it’s fairly uncontroversial to say that, across times and cultures, people have considered having kids to be part of the good life. Not to fulfill one’s own utilitarian ends (though it sometimes plays a role too) but as something good that’s part of life. »

Ma première réaction a été d’être totalement d’accord. Je suis le produit de plusieurs cultures qui aiment les enfants, et je considère effectivement qu’avoir des enfants est un élément essentiel de la « vie bonne ».

Il me faut pourtant reconnaître que certaines tendances actuelles, tant sur le plan philosophique que sur le plan démographique, montrent que ça n’est peut-être pas si évident que ça.

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Chengyu hébraïque : une histoire de vaches

Il existe une expression en hébreu moderne pour décrire quelque chose qui se déroule progressivement, une expression un peu obscure au premier abord : para, para, « vache par vache ».

Pour comprendre le phénomène linguistique qu’elle dissimule, il nous faut faire un petit crochet par la Chine, où ce style d’idiome a un nom : le chengyu.

Le chengyu (成語) est une expression, composée le plus souvent de quatre caractères, qui a une valeur proverbiale mais dont le sens est totalement obscur à première vue.

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Ma vie de civil pendant l’opération aube naissante (2/2)

Suite de la première partie.

Samedi 6 août 2022
9 du mois de Av 5782

Je me réveille à cause d’un bruit étrange. Je jette un coup d’œil au réveil : il est deux heures du matin.

La première question qui me vient à l’esprit est de savoir si c’est une alerte aérienne ou pas. Il n’y a pas de sirène : ça n’en est pas une.

Le bruit vient de la chambre de mon fils. Il est en train de bouger dans son lit et de se réveiller.

Je me lève pour aller voir ce qu’il se passe. Aussitôt après, il vomit. Il n’a pas de fièvre, mais ça explique pourquoi il avait l’air aussi fatigué.

Je nettoie ses affaires, et je le recouche. Il se rendort aussitôt.

Le matin, on se réveille tôt, mais il n’y a eu aucune alerte.

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Ma vie de civil pendant l’opération aube naissante (1/2)

L’opération aube naissante s’est déroulée du 5 au 7 août 2022. De la même manière que nous n’étions pas tout à fait certains des raisons qui ont conduit le premier ministre de l’époque (Yair Lapid) et le ministre de la défense (Benny Gantz) à lancer cette opération, je laisse volontairement flou le contexte politique et sécuritaire pour me concentrer sur ce que nous avons vécu en tant que civils, à quelques dizaines de kilomètres de distance du lieu où elle s’est déroulée.

Vendredi 5 août 2022,
8 du mois de Av 5782, veille de shabbat hazon

Fin de semaine à Be’er Sheva. Le repas est en train de mijoter, mon fils joue avec une boite de costumes qu’il a trouvé dans le mamad, la pièce blindée où l’on se réfugie en cas d’attaques de roquettes. Ma femme termine ses emails avant de se déconnecter pour shabbat, qui entre vers dix-neuf heures quinze.

Maintenant que tout est prêt, que la table est dressée, que la vaisselle est faite et que tous les appareils électriques sont en mode shabbat, je me repose tranquillement sur le canapé. Je me promène sur Twitter, histoire de voir ce que font les copains.

Vers 17h30, je tombe sur un tweet un peu mystérieux : « comme on dit ici : les quatre saisons… L’automne, l’hiver, le printemps et la guerre ». Comme l’auteure du tweet est Israélienne, je lève un sourcil suspicieux. Quelle guerre ?

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Rectification des noms et sagesse populaire

La sagesse populaire est toujours plus sophistiquée que ce que l’on imagine. C’est une sagesse orale, qui passe au crible des siècles les meilleures idées et leurs formulations les plus heureuses. Ce qui reste est le plus intéressant, le plus pertinent, le plus utile. Interroger la sagesse populaire, c’est puiser dans un recueil invisible, jamais relié mais toujours relu, de ce qu’une culture donnée à de plus intéressant à sauvegarder et à transmettre.

Sans surprise, la sagesse populaire française a quelques paragraphes consacrés à la rectification des noms.

Promenons-nous quelques instants dans ses allées.

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Sept questions après la catastrophe

L’article de cette semaine porte sur la Shoah. Il s’intitule Sept questions après la catastrophe. Je l’ai écrit à l’occasion de Yom Hashoah vehaGuiborah, le jour de la catastrophe et de l’héroïsme, que nous nous avons commémoré hier en Israël.

Il est écrit, mais je ne le publierai pas ; en tous cas pas de suite. Quatre-vingt-un ans après la conférence de Wannsee, qui a mis en place ce que les nazis ont appelé la solution finale, je me demande si nous pouvons vraiment écrire quoi que ce soit sur l’événement et sur ses conséquences.

Peut-être le silence est-il encore de mise, peut-être le silence parle-t-il mieux.

A moins que ce ne soit la poésie, ce moment où la langue dit plus qu’elle-même et laisse entendre le silence entre le mots. Je laisse à cet effet ma traduction du poème d’Hannah Szenes, qu’elle écrivit en 1942, .

Promenade à Césarée

Mon Dieu, Mon Dieu,
Que ne cessent jamais
Le sable et la mer
Le crépitement de l’eau
L’éclair dans le ciel
La prière de l’Homme.

Que la mémoire de nos chers disparus soit une bénédiction.