Super Mario n’est pas le dernier Scorsese

Note : cet article ne contient pas de spoilers.

Le film Super Mario est sorti il y a à peine une semaine, et la critique est déjà tombée. Deux camps semblent se dessiner. D’un côté, les aficionados (on dirait, en employant un terme anglophone plutôt qu’hispanisant : les « gamers »), qui trouvent le film formidable. Le journal du Geek écrit par exemple : « n’importe qui sera sensible au charme nostalgique et à la bonne humeur de Super Mario Bros. le film. On ne pouvait rêver d’une meilleure adaptation. Chapeau !… Euh, casquette ? » 20 minutes a aussi beaucoup aimé et donne quatre étoiles : « La collaboration entre Nintendo et Illumination, studio créateur des Minions, est une réussite ». Quant à Florent Gorges, le meilleur spécialiste français de Nintendo, il donne un 90/100 au film.

De l’autre, les critiques établis, qui, du haut de leur chaire journalistique, dispensent des avis censés fixer le goût du public, sont relativement grognons. Pour eux les choses sont claires : « histoire molassonne […] et tarte » (Première), « l’imagination reste au point mort » (L’Obs), « film fatiguant » (Libération). Plus étonnant, Télérama va jusqu’à avoir de la nostalgie pour le premier film Mario, un nanar des années 90 dans lequel Dennis Hopper jouait un dinosaure : « On en vient à regretter le drôle de chaos du premier film, de 1993, qui propulsait les frères Mario dans une dystopie punk. Ce fut un échec public et critique. Trente ans après, Nintendo ne prend plus de risques et propose un film conventionnel. » (1)

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Temps existentiel et temps scientifique

C’est un cliché de la philosophie que de dire que le temps est un mystère. Saint Augustin avouait ne rien y comprendre malgré ses méditations, et, si l’on pensait depuis Einstein et la relativité générale qu’on commençait à mieux comprendre sa nature, on finit toujours par se rendrez compte qu’on bute sur quelque chose : «  Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. » (Les Confessions, XI, 14). Peut-être parce que c’est une de ces catégories à priori en dehors desquelles on ne peut penser. Le temps est une donnée tellement inséparable de notre condition qu’il nous est impossible d’imaginer à quoi ressemblerait un monde sans celui-ci.

Le mot temps est d’ailleurs trompeur : il recouvre des réalités assez différentes, qui reçoivent, en français, comme dans beaucoup de langues européennes, la même étiquette. Pour inverser le vers de Boileau : ce qui ne se conçoit pas clairement, s’énonce difficilement.

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Pluton n’est plus une planète (2/2)

Comprenant que le statut de Pluton était sur le point de flétrir, deux forces principales ont essayé de s’opposer à son changement de statut. D’une part Clyde W. Tombaugh, le scientifique qui avait découvert Pluton. L’octogénaire continuait à suivre les découvertes dans son domaine d’expertise, et, il avait compris que la découverte de la ceinture de Kuiper et des objets qui la composaient allait remettre en question la classification de Pluton. Il proposa qu’on la considère comme la neuvième planète, par définition et de façon définitive, en lieu et place de la mystérieuse planète X, qui elle n’existait pas. La nomenclature s’arrêterait là, et tout ce qui viendrait après pourrait avoir un autre nom. En d’autres termes, il proposait une définition extensive du mot planète, une liste close qui s’achèverait par l’astre qu’il avait découvert.

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Pluton n’est plus une planète (1/2)

La rectification des noms se dissimule parfois dans les endroits les plus inattendus. Elle a été mise en œuvre, quoique de façon très controversée, au début des années 2000, par la communauté scientifique, lorsque celle-ci s’est demandée si Pluton était une planète. Le plus étonnant ? Jusque là, personne ne s’était tout à fait posé la question de savoir ce qu’était exactement une planète.

L’homme par qui la controverse est plus ou moins arrivée, et qui a ensuite contribué à la trancher, a écrit un livre sur la question, dans lequel il relate les différentes péripéties de l’histoire. L’occasion de voir la rectification des noms à l’œuvre, in situ.

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Le corbeau et le fromage

Maître Corbeau sur un arbre perché… Maître Renard, par l’odeur alléchée… L’histoire vaut bien un fromage, et elle est connue. Mais l’est-elle vraiment ?

Car la manière dont on entend ce type d’histoire, lorsqu’on est enfant, est parfois différent de la manière dont on les entend lorsqu’on est adulte. Une relecture des classiques s’avère toujours payante.

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Bienvenue à Wokeville (3) – La culture

En novembre 2018, je suis parti vivre dans le Massachusetts pour des raisons familiales. J’ai emménagé dans l’ouest de l’état, une zone un peu enclavée, bien loin de Boston et de la mégapole de la côté. J’ai vécu six mois dans une ville qui avait été un centre extrêmement important de la région jusque dans les années cinquante, et six mois dans une petite ville que je ne nommerai pas ici explicitement, et que j’appellerai Wokeville.

Pendant cette année-là, j’ai vécu dans un monde que je n’imaginais pas exister, une sorte d’univers parallèle totalement surréaliste, une des villes dans lequel le mouvement woke s’épanouit à l’état chimiquement pur.

Wokeville est une petite ville universitaire de l’ouest du Massachusetts. Son college fait parti d’un réseau d’institutions d’éducation supérieure qui sont disséminées dans trois quatre ville environnantes.

Qui dit universités, dit, entre autre, un réseau d’institutions culturelles en générales et livresques en particulier. Et pour nous qui sommes des amoureux des livres, cela ressemblait à une promesse de paradis. (Lorsque nous avons déménagé pour revenir en Israël, le poids du cadre s’élevait à 2.5 tonnes, dont 1.5 tonnes de livres !)

Petite visite édifiantes des lieux.

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Emergence du thé 2/2

Suite de notre étude sur le sens du mot thé. Article réalisé en partenariat avec l’excellent site www.tea-masters.com , du non moins excellent Stéphane Erler, qui propose une sélection des meilleurs thés de Taiwan et de Chine.

Etait-ce plus simple en Chine ? Rien n’est moins sûr. Le mot, comme le caractère, a également mis du temps avant d’être stabilisé.

Le caractère que l’on emploie aujourd’hui (茶) n’apparaît qu’à l’époque Tang (618-907), période où le thé prend réellement son envol, pour se diffuser à la fois dans la Chine continentale et dans les régions limitrophes.

Ce caractère est l’altération du caractère 荼 (la différence se trouve dans l’un des traits horizontaux), dont le sens est sinon mystérieux, du moins ambigu. Le plus vieux dictionnaire portant sur les caractères dont nous disposons, le Erya (爾雅, simplifié 尔雅), une œuvre que l’on date du troisième siècle avant notre ère, utilise trois fois le caractère.

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Emergence du thé (1/2)

L’article de cette semaine est en partenariat avec l’excellent site www.tea-masters.com, du non moins excellent Stéphane Erler, qui propose une sélection des meilleurs thés de Taiwan et de Chine.

Il y a des mots qui paraissent d’une telle banalité qu’on ose à peine se demander ce qu’ils signifient. Et ça n’est qu’au détour d’un texte parfois un peu ardu qu’on se rend compte que la manière dont il est employé est inhabituelle. On fronce les sourcils, on relit, on réfléchit un peu, et voilà qu’on découvre que ce mot usuel n’était pas si évident. Il perd tout d’un coup de sa transparence, et se retrouve plein et entier, comme neuf à l’oreille de celui qui l’utilise.

Le mot « thé » m’a fait cet effet. Je pensais connaître sa signification. Pire, je ne m’étais jamais vraiment interrogé sur celle-ci. Le thé était une évidence linguistique autant que gustative. Mais c’est en lisant Proust que j’ai tiré le premier fil qui m’a fait dire que peut-être le mot n’était pas aussi simple qu’il y paraissait.

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Culture et politique, politique et culture

Je vois souvent passer, depuis le dernier cycle électoral français (présidentielle de 2022) des articles et des messages qui tournent autour du thème suivant : « ne vous laissez pas emberlificoter l’esprit. Vous vous enflammez pour le sujet x, mais le sujet x n’a aucun intérêt. C’est juste du divertissement : pendant ce temps-là, on ne parle pas des vrais sujets : l’inflation, la crise de l’énergie, etc. »

Le message est séduisant : il oppose l’accessoire à l’important, le bruit au réel, et il semble faire mouche. Qui ne voudrait pas être du côté de l’important ? De l’essentiel ? Et écarter par la même occasion le bruit ? La propagande ? Et la communication politique ?

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